par Eric Rouxhet

Pour sa dernière séance, Marcel nous propose de systématiser les techniques de jeu que nous avions eu tendance à emmêler il y a quinze jours.
Nous démarrons par équipes de quatre. Et retombons rapidement dans nos travers : l’espace scénique déserté -circulez, il n’y a rien à voir- ou si totalement occupé qu’aucun secours ne peut surgir des coulisses, des clowns absorbés dans leur jeu et oublieux du public, des scènes qui finissent par se « crasher » faute de carburant narratif, …
Alors, Marcel convertit sagement notre petite troupe en autant de duos. Des paires qui seront renouvelées à chaque exercice. Je vais pouvoir « tester » de nouveaux camarades et retrouver le plaisir d’échanges avec les « ancien(ne)s ».
L’objectif assigné est de pratiquer par oppositions ou exagérations. Pour un prétexte souvent futile, le « oui » de l’un va se heurter à la négation obstinée de l’autre. Un crescendo de voix, de gestes, de rires va enfler jusqu’à la démesure sans autre enjeu que de se prendre au jeu ! Où la répétition inlassable des phrases prononcée par l’autre fige la situation dans un comique absurde où on ne sait plus qui a dit le premier mot et qui en aura le dernier.
Au gré des consignes et des partenaires, je me plonge dans le jeu hilare et brutal de deux potaches, puis devient le mari fort marri d’une femme noctambule ou d’une autre alcoolique, puis me transforme en un prétentieux et maladroit montreur d’enfant savant, le tout en moins d’une demi-heure ! D’autres feront voir un père rendre sa fille insomniaque à force de sollicitudes au moment du coucher ou partager le siège du mort avec une gamine hystérique dans une automobile ….
J’éprouve beaucoup de plaisir à retrouver ou créer des connivences à travers un jeu plein de tendresse avec l’une, un comportement faussement paternel avec une deuxième, un assaut débridé avec une troisième, un échange façon « je t’aime, moi non plus » avec une quatrième…. Avec six filles pour deux gars, il y a de quoi faire.
Certains duos me paraissent si prometteurs que j’ai envie de les mener à leur terme : leur ajouter les idées qui viennent après l’élan fugace de l’improvisation, de soigner la mise en scène, l’entrée, la sortie, … sans casser l’élan fragile de la spontanéité. L’essence d’un spectacle réside dans sa capacité à se reproduire dans l’universalité des publics. Sinon, c’est simplement se donner en spectacle.
Et se révèlent comme par enchantement un clown blanc et un clown rouge ; celui qui croit commander et celui qui obéit de travers. Le jeu du clown rouge est plus débridé, plus clownesque tandis que le Blanc semble attendre que cela passe, faussement fâché. Et pourtant, c’est le clown blanc qui fournit à l’autre toutes les occasions de faire des pitreries, de mener une rébellion grotesque ou farfelue. Si ses injonctions ne suivent pas, l’énergie du duo retombe aussitôt et il est grand temps de quitter le plateau ! Je m’essaye aux deux rôles mais avec un penchant inconscient pour le Blanc. L’âge, peut-être ? La prochaine fois, je passe au Rouge.