Première question : Votre nom a-t-il une signification ?

Oui, Hafiz veut dire "celui qui sait", "celui qui connaît le Coran par cœur". C’est aussi le nom d’un grand poète persan du 13ème siècle. Je me réclamerais plutôt du poète ! [1]

Si vous deviez vous présenter, comment le feriez-vous ?

Je suis un homme du Sud, de deux cultures sans trop de susceptibilité. J’ai voyagé. Je parle le français, l’arabe littéraire, le tunisien, l’anglais, le néerlandais. Le français me convient bien, je le trouve clair. J’aime l’arabe pour la couleur. Je voudrais raconter de petites histoires en arabe à un public de francophones et qu’ils les comprennent.
J’ajoute que je participe à la vie de mon village Buzet. Je suis très actif dans les fêtes et kermesses de l’entité.

Question obligée, comment êtes-vous venu au conte ?

J’ai toujours raconté en famille, à des amis, des histoires réinterprétées à ma manière. J’y ajoutais gestes, attitudes, intonations. Je choisissais des histoires qui me paraissaient intelligentes, intéressantes, dans lesquelles je pouvais me mettre moi-même.
Je fais partie de la Compagnie Croquemitaine du Théâtre Action à Tournai. J’ai participé à des ateliers, des spectacles et des animations de rues. A Avignon, j’ai bonimenté le spectacle d’Angel Ramon Sanchez. Il y a 8 ans à Chiny, dans le cadre du festival, j’ai participé à une animation de rue avec la compagnie Croquemitaine. J’ai été voir des conteurs.
Pour moi n’existait que le conte traditionnel. J’en ai découvert d’autres facettes et j’ai été témoin du plaisir de raconter. Je me suis dit que j’aimerais devenir conteur.
J’ai perdu mon emploi. Que faire ? J’ai décidé de profiter de ce temps libre pour suivre des formations. En 2004, je me suis inscrit à la formation au conte d’intervention organisée par Parole Active.
J’ai travaillé le conte "Les idiots", je l’ai réécrit pour y mettre mes idées et le rendre actuel. A mon avis, la plus grande partie de la formation et la plus importante est l’intervention en rue. Après chacune de mes prestations, je m’isolais, réfléchissais, rectifiais la difficulté à enchaîner, le manque de logique interne. On m’a demandé de conter aux "Barques du matin". J’en étais très fier et cela s’est bien passé.

Vous avez parlé de vos idées, quelles sont-elles ?

Je suis à la fois d’accord avec la vie actuelle et pas content d’elle, je rage parfois. Je pense aux problèmes nord-sud, à l’injustice, l’écologie, la télé, ..., aux oubliés du progrès, aux victimes de la mondialisation. J’aime l’humour, il allège le sujet, dédramatise, ôte le pathos, rend le public mieux disposé à entendre le message. Le rire supprime la lourdeur et non la gravité. Le public rit et réfléchit après. Je voudrais être vrai et comique. En résumé, mon désir est d’intégrer le vécu actuel, mes convictions, avec le rire qui rend le sujet sympathique. Parce que j’y crois, les personnages se mettent à vivre dans ma tête, à parler, à réagir.
Je me suis découvert. Je suis toujours habité, je travaille dans ma tête, je cherche le mot juste. Je voudrais avoir un style à moi, garder l’éveil, l’attention, la gravité, le comique, l’exubérance et les émotions. Je n’ai pas peur de la caricature.

Nous en reparlerons sans doute mais continuons à suivre votre parcours.

Un sujet me trottait en tête. J’avais un avis sur le tourisme de masse, particulièrement en Tunisie, mon pays d’origine. Les touristes vivent en vase clos, imperméables aux problèmes du pays où ils séjournent. Le commerce équitable permet de mieux payer les producteurs, de les soigner, de donner l’instruction à leurs enfants. Ne pourrait-il pas aussi y avoir un "tourisme équitable" qui ferait pression sur les dirigeants des pays. Je songeais aussi à la chanson d’Aznavour qui dit : Il me semble que la misère est moins pénible au soleil.
Je me suis mis à écrire "Viva l’azzouza". Je conclus que la misère est très pénible au soleil.
Encouragé par Yvan Couclet, un des formateurs au conte d’intervention, j’ai posé ma candidature pour le Prix du Festival. A ma grande surprise, j’ai été retenu. J’ai assisté aux prestations des autres candidats, j’ai été interviewé par la télé, j’ai présenté Viva l’azouza. Plus grande surprise, j’ai eu la mention spéciale du jury.

Que vous a apporté cette mention ?

Elle m’aide en me donnant confiance en moi. J’ai eu un contrat avec le CPAS de Soignies, avec le Foyer culturel d’Antoing. Les réactions m’ont paru favorables. Je suis repris par Art et Vie.
J’ai présenté ma candidature à la Journée professionnelle du Festival de Mende en Lozère, elle a été retenue.
Je voudrais beaucoup vivre de mon activité de conteur, allier le désir et la nécessité, la passion et le métier.

Toujours à propos du prix du festival, j’ai entendu des réactions du public qui se demandait si vous vous moquiez de la pauvre vieille qui grimace suite à une attaque cérébrale. Que répondez-vous à cela ?

Nous touchons ici les limites du rire et son danger. J’ai pitié d’elle mais je n’ai pas encore trouvé le moyen de l’exprimer. Je devrais être attentif à ce qu’elle vit. Je crois que je vais la faire exister avant son attaque.

Un des critères de jugement pour le prix est la capacité du candidat à gérer l’imprévu. Vous avez été confronté à l’imprévu. A la suite d’une erreur d’organisation, on avait vendu le double de places que pouvait contenir le local prévu. Vous avez donc été changé de salle, une salle beaucoup plus grande, tout en longueur. Comment avez-vous réagi ?

Cela n’a pas été facile. L’éclairage était prévu pour des musiciens qui me suivaient. Je n’ai pas voulu le modifier, on n’en aurait pas eu le temps. Le résultat était que j’avais des projos dans la figure et que je voyais mal la salle et surtout les gens dans le fond. Or, j’ai besoin de voir les gens. Le podium était aussi très, trop, haut. Mais il fallait y aller. Dès les premières réactions, je me suis dit : on me voit, on me suit, et c’était parti.
La réaction des gens est une grande aide, particulièrement leurs rires et leurs sourires.

Vous avez d’autres textes ?

Entre autres, "Gérard", animateur pour jeunes, sincère et idéaliste, dans une banlieue française. Il se demande si les jeunes qui y habitent sont violents ou avides de tout, tout de suite, comme tous les jeunes. Il décide de rouvrir le club des jeunes et d’y organiser des activités suivant les demandes. Les choses sont ingérables, dégénèrent. Le club est fermé, Gérard est renvoyé et tout est comme avant. C’est à la fois triste et marrant.
J’ai déjà présenté "Gérard" dans un petit café dans les Cévennes. Je redoutais leurs réactions, elles ont été bonnes.
J’ai aussi l’histoire de "Polo", vendeur, colporteur et bonimenteur, qui a dans sa sacoche tout ce qui pourrait vous intéresser. Sans oublier ma version des "Idiots". J’ai en projet un spectacle sur un mariage mixte en me focalisant sur la cérémonie réunissant les deux familles. Un conte écologique aussi sur la pomme.

[1Considéré par certains comme un mystique de l’amour de Dieu, pour d’autres, le poète Hafiz chante la vie, l’amour, la nature, la beauté, le plaisir. Sous ce dernier aspect, il retrouve l’actualité. Les jeunes Iraniens, dont beaucoup sont frustrés par la tyrannie religieuse, le mettent sur le pavois.