Interview de Daniel Marcelin
Dans un pays comme Haïti, comment vois-tu le rôle du théâtre dans la société ?
Pour moi c’est un prétexte, un prétexte pour que les gens puissent se révéler à eux-mêmes, se révéler aux autres et aient une prise de conscience citoyenne aussi.
Qu’est-ce que c’est que « faire partie d’une société » ?
Au départ c’est cela, mais on le fait sérieusement, avec des méthodes, des techniques.
Tous ceux qui pratiquent ce métier, je les considère comme des militants.
A Port-au-Prince il fût un temps pendant lequel il y avait du théâtre chaque semaine, presque tous les jours. Aujourd’hui avec les cataclysmes, il n’y a presque pas de salle.
Il existe des troupes de théâtre, voir même une école de théâtre, mais on ne sait pas où jouer ... . Un jeune qui veut faire du théâtre, doit le prendre comme une formation personnelle, parce que le théâtre ne nourrit pas son homme, ce n’est pas un métier ici.
A une certaine époque, sous la dictature de Duvalier, ceux qui faisait du théâtre étaient considérés comme dangereux.
C’était par là d’ailleurs que la parole venait, les paroles sonnaient, résonnaient dans les oreilles de tous ceux qui prenaient conscience de certaines situations. Beaucoup de comédiens ont été exilés. Il sont revenus au pays un peu plus tard…
Faire du théâtre en Haïti c’est vraiment …un engagement.
Quelles sont les principales approches du théâtre dans votre école ?
Au Petit Conservatoire nous travaillons la méthode de Stanislavsky. Certains professeurs s’inspirent aussi de Grotowsky. Cela permet une certaine ouverture pour les étudiants. Certains à la fin des cours décident de faire vraiment du théâtre, et ne vivent que de ça ; mais c’est très rare.
Ça donne des spectacles en salle ou en plein air, avec une inspiration enrichie par le panthéon vaudou, qui est une force de notre culture.
Ce théâtre est-il concentré à Port-au-Prince ou est-il aussi décentralisé ?
Il y a des décentralisations, beaucoup de gens assistent à des spectacles à Port-au-Prince, mais une fois qu’on a fait deux ou trois représentations, c’est fini. Donc il faut absolument chercher des possibilités pour aller dans les autres villes de province. Et c’est à partir de là qu’on peut se dire : « je joue vraiment ».
Il n’y a pas de mécénat, c’est vraiment très très très difficile.
Je dirige le Petit Conservatoire depuis dix ans, je n’ai pas de subvention, rien du tout.
Sinon que nous avons rencontré le responsable de « La charge du rhinocéros » en Belgique, Olivier Blin. Il a créé le premier festival de théâtre de Port-au-Prince qui s’appelle « le festival Quatre Chemins ». Ce festival est né suite à une rencontre fortuite, cela nous a offert des opportunités, des contact avec le conservatoire royal de Liège, pour des formations, et à partir de là, on a pu vraiment présenter des spectacles…
Quel genre de public fréquente le théâtre, quelle catégorie sociale ?
Tous genres. Ça dépend de la pièce, ça dépend de la mise en scène aussi, je viens de monter « Les fourberies de Scapin » de Molière, mais un Scapin très caribéen, pour ne pas dire très haïtien, avec des répliques en créole. Mon souci était d’intéresser les jeunes aux classiques et de voir qu’ ils peuvent être visités et re-visités. Je pense que Molière serait content de voir la manière dont est monté ce spectacle. Avec de la musique Rara, de la danse aussi.
Les principaux thèmes abordés par les spectacles ?
Evidemment ça a toujours un caractère social, avec beaucoup de revendications, parce que forcément, dans un pays comme Haïti tout sujet devient politique, c’est évident. La crise est tellement énorme, il y a des problèmes partout, dans tout ce qui existe, la société même, tout ce qu’on aborde devient politique.
Comment pourriez-vous caractériser ce théâtre marqué par l’inspiration du panthéon vaudou ?
En fait il n’y a pas un genre pratiqué par tout le monde.
Guy Régis Junior a pu proposer un autre genre de théâtre basé beaucoup plus sur le corps et une répétition des textes.
Beaucoup de gens font ce genre de théâtre aujourd’hui avec un sens choral très poussé et faisant appel au panthéon vaudou, aux rites vaudou.
Ça donne une force aux créations et elles peuvent être jouées partout dans les rues, ce qui fait que beaucoup de jeunes pratiquent actuellement ce genre.
Dans un chœur, il n’y a pas à travailler sur les personnages, sur les costumes, sur un décor proprement dit, il n’y a pas de lieu, donc cela facilite la participation de tout le monde.
Parlons des difficultés pour les gens qui font du théâtre ici ?
D’abord c’est le problème des subventions. Pas de subventions, ce sont les gens qui décident eux- même de créer, tout seul.
A part la Fokal (Fondation connaissance et liberté), qui arrive à donner un petit quelque chose à des troupes, on ne trouve pas beaucoup de gens qui accordent des aides.
Quelqu’un qui décide de monter un spectacle va passer presque un an pour les répétitions.
Il y a beaucoup de problèmes issus de la vie quotidienne, par exemple les problèmes de circulation. Les transports en commun en Haïti sont très difficiles. Les gens arrivent toujours très en retard aux répétitions. Et doivent partir avant l’heure, pour pouvoir trouver un moyen de transport.
Pour donner trois ou quatre représentations en fin de compte. Ceux qui font du théâtre ont vraiment l’amour du métier.
Personne ne gagne sa vie comme comédien ?
Non, ici il faut toujours avoir quelque chose à côté.
C’est pour cela qu’au petit conservatoire, en deuxième année, au lieu d’aborder le chant et la danse, je propose des cours de technique de présentation radio et télé, qui donnent certains débouchés. Un étudiant qui est en deuxième année peut travailler dans une station radio, ou une station de télévision.
Un petit noyau de troupes, comme le petit conservatoire, comme le KTK, comme d’autres encore, ont décidé de présenter des spectacles, le plus souvent pour le seul plaisir.
Les spectacles ne sont pas vendus, les gens ne payeny pas forcément pour venir voir ces spectacles. Les étudiants ne se mettent pas dans la peau du professionnel qui doit obtenir un cachet, donc ils acceptent de jouer pour le plaisir de jouer. Beaucoup de troupes ici font ça.
Vous avez combien d’élèves au petit conservatoire ?
Actuellement sur les deux années, trente-cinq.
Vous êtes la seule structure de formation ?
Je ne dirais pas que c’est la seule structure de formation, il y a d’autres filières, beaucoup d’ateliers, mais c’est la seule école, à part l’école nationale des arts (ENA), mais l’ENA jusqu’à présent, ne définit pas exactement ce qu’elle forme. Est-ce que ce sont des acteurs, ou des techniciens, ou des théoriciens du théâtre ? J’ai passé deux années là-bas, ils étaient incapables de me dire exactement comment former les gens, pourquoi, etc.
Le théâtre de l’opprimé, le théâtre forum, est-il pratiqué ?…
Le spécialiste ici s’appelle Ralph Civile, il dirige une troupe de théâtre qui s’appelle KTK (Kompagnie Théâtre Kréole). C’est du théâtre créole, même dans le gestuel, dans la mise en scène…
Il va sur le terrain, il rencontre les gens, il discute de leurs problèmes et à partir de là il arrive a créer un spectacle.
Les gens qui fréquentent les ateliers, font-ils cela comme loisir, ou bien avec une perspective de formation ?
Je pense qu’il font ça surtout pour le plaisir.
Une vraie pratique d’amateurs ?
Voilà.
Et ça débouche sur des créations de spectacles ?
Oui, et eux-même décident d’apporter leurs propres ressources comme fonds. Ce sont souvent des fonctionnaires ou des gens qui travaillent. Ils aiment le théâtre et arrivent à monter leur spectacle…
Il y a beaucoup de club, de groupe de jeunes dans les villes de province qui sollicitent souvent des stages et des formations. A l’époque où j’étais directeur du Théâtre national, je passais la majorité de mon temps dans les villes de province, à faire des formations.
Surtout sur la manière de réaliser des spectacles à partir de…. rien.
Cette austérité extrême, ça débouche sur une forme de richesse ?
Oui. Cela stimule l’imagination. D’ailleurs … c’est dans la difficulté qu’on arrive a créer les belles choses ....