Cet après-midi le Théâtre du Copion présente son spectacle sur la sécurité sociale et la santé dans le village syndical, sous la grande tente. La météo pluvieuse a transformé le terrain en mare aux canards. Mais il en faut plus pour arrêter une troupe de théâtre action. Sans scène, ni éclairages, mais devant un nombreux public de militants syndicaux, représentant des pays de tous les continents, les trois comédiennes dénoncent la manière dont le système néo-libéral détruit notre sécurité sociale. Le capitalisme privatise les soins, les hôpitaux deviennent des supermarchés de la santé, de plus en plus réservé aux riches. Pour les plus démunis, au Nord, et encore plus au Sud, se soigner devient hors de prix.

A la libération, à la fin de la seconde guère mondiale, la mobilisation sociale des travailleurs avait permis la construction de notre système de sécurité sociale. En plus de leurs salaires, les travailleurs étaient parvenus à arracher aux profits des patrons une part supplémentaire de la valeur produite par leur travail, sous la forme de "cotisations" sociales. Ce que la droite, les milieux patronaux et financiers ont le culot d’appeler des "charges" sociales. Depuis 35 ans cette offensive capitaliste contre ce système de protection conquis par le mouvement ouvrier, n’a produit que plus de chômage et plus de misère.

Invoquant ces soi-disantes "charges" comme un handicap les empêchant d’être compétitifs, et d’embaucher, les patrons pleurent pour que les gouvernements soulagent, en réalité, leurs profits de cette part que les travailleurs étaient parvenus à leur reprendre.
Nul emploi ne fut jamais créé avec cette méthode, que du contraire.


C’est exactement le contraire qu’il faudrait faire : augmenter les cotisations et étendre le domaine de la sécurité sociale. Bernard Friot, un économiste français, a émis une proposition, intéressante et décoiffante, consistant à socialiser l’ensemble des profits en vue de créer, à côté de cette sécurité sociale, une sécurité salariale permettant d’attribuer à chacun un salaire à vie. Le paiement des salaires ne serait plus assuré par les patrons, mais par une caisse centrale des salaires. Une partie de la cotisation servirait à l’investissement, répartie entre un fond permettant aux entreprises de renouveler leurs équipements et de les faire évoluer et des caisses centrales et des caisses régionales permettant de régler la question du crédit, qui pourrait ainsi être accordé sans intérêt, à tous projets individuels ou collectifs soumis à ces caisses d’investissements et retenus par elles. Le solde pourrait être consacré à la création de services publics gratuits, pour les transports, le logement, etc. La gestion de ces caisses seraient confiées à des délégués élus par les travailleurs.

De cette manière c’est l’ensemble des décisions économiques qui seraient rendues à la société, non pas sous la forme d’un "plan" à la soviétique, ni sous la forme d’une autogestion sans coordination comme le fit un temps, l’ex-Yougoslavie, mais sous la forme d’une autonomie autogérée, coordonnée et contrôlée démocratiquement à travers les comités de gestion des caisses d’investissements aux différents niveaux : entreprises, régional et national.
Bernard Friot propose ainsi de créer à côté du droit de vote, un droit économique, ouvert à tous, à partir de l’âge de la majorité légale.
A partir des richesses actuellement produites, il serait dès à présent possible d’offrir à chacun un salaire de 1500€ par mois à partir de 18 ans, que l’on travaille ou pas à la production de marchandises. Car la production de valeurs n’est pas uniquement liée à la production marchande. Beaucoup de personnes, qui ne sont pas "employées" sur le marché du travail, sont productrices de valeurs : un chômeur s’investissant dans une association, un retraité se consacrant à un mandat politique ou social, ou même, tout un chacun, après ses heures de travail, en s’investissant dans la vie sociale.

Au cours d’une carrière chacun pourrait se voir qualifier, non pas sur la base unique des critères scolaires actuels, mais sur la base de nouveaux critères à redéfinir socialement : expérience, capacités à se rendre socialement utile, etc...
Des jurys de qualification, également élus, pourraient accorder différents niveau permettant d’étaler une échelle salariale allant de 1500€ à 6000€ par mois, en assurant qu’une qualification acquise ne soit jamais perdue, et donc le salaire lié à cette qualification serait garanti et inaliénable, que l’on participe ou pas, ou plus, à la production de marchandises.

Cette proposition de B.Friot rejoint et surtout dépasse l’idée d’allocation universelle qui n’offre pas de porte de sortie du capitalisme et qui au contraire risque de conforter ce système, en crèant une catégorie d’exclus survivant d’une maigre allocation ou en obligeant tout un chacun à aller chercher un second chèque sur le marché du travail, à ceci près que les conditions de la négociation salariale s’en trouveraient déforçées. Les partisans de l’allocation universelle ne formulent pas non plus de propositions de financement crédibles. Les uns suggèrent une taxe sur la consommation (augmentation de la TVA), ou sur la pollution, ce qui signifie que pour que leur revenu universel soit financé, il faut consommer ou polluer...
Enfin l’éventail idéologique des partisans de cette allocation universelle s’étend d’authentiques droitiers comme Milton Friedman, Christine Boutin, à des décroissants ou des écologistes comme André Gorz ou Baptiste Millongo.